Histoire de causeries
Avant de vous livrer ma vision de la causerie, je voudrais vous raconter une histoire qui devrait résonner aux oreilles de pas mal d’entre vous… Mes expériences d’entraîneur et d’ancien compétiteur m’ont amené à vivre des situations durant les phases de préparations et de compétitions où les mots ont leur importance. Ils impactent, que l’on dirige une équipe sur un terrain de sport ou en entreprise, il faut savoir les choisir avec efficience.
Alors qu’ils sont menés à la marque, tenus en échec, ils rentrent dans le vestiaire, préoccupés, la tête baissée. Les adversaires du jour vont vite et semblent mieux organisés dans leur jeu. La première mi-temps s’est mal passée, le moral de l’équipe est clairement ébranlé.
Lorsque la porte du vestiaire se referme derrière le capitaine, un lourd silence s’installe et plane pendant quelques minutes.
Depuis son arrivée au club il y a deux ans, il a été choisi par ses pairs comme leader de l’équipe.
Ses qualités ? :
Il est efficient dans ses conseils, pertinent dans ses analyses à chaud.
Il n’a pas peur de prendre une décision.
Il reste calme et stable comme une montagne lorsque la pression monte.
Il ose prendre la parole clairement pour recadrer les mauvaises options de jeux et attitudes sur le terrain.
Le capitaine a alors pris la parole. Calmement, sans injure, mais avec force, amour et passion pour « ses gars ». Dans une causerie où il aborde les points tactiques, valorisant les prises de risques de ses partenaires, n’en oubliant aucun. Il s’adresse à eux autant d’un point de vue tant individuel que collectif.
La prise de parole semble avoir fait mouche !
Tous ensemble, ils ressortent du vestiaire, galvanisés, prêts à laisser leurs tripes sur le terrain pour remporter cette seconde mi-temps.
L’emporteront-ils ? Arracheront-ils un match nul ? Aucune idée. Je vous laisse imaginer la suite. Peut-être avez-vous d’ailleurs déjà vécu ce genre d’histoire.
Ce moment crucial qu’est une causerie, avant, pendant ou après un match, s’organise en fonction du ressenti et des méthodes de chacun. Elle n’est en rien le gage de la réussite.
Elle a, avant tout, d’autres fonctions : celle de mobilisation ou re-mobilisation, elle doit permettre de focaliser pleinement et uniquement l’attention, la concentration, en un mot l’énergie des joueurs sur l’objectif immédiat (le jeu) mais je le répète n’augure en rien de la victoire ou de la défaite.
Dans le cas présent je vous ai donné l’exemple d’une causerie menée par le capitaine de l’équipe. A cet instant charnière de la rencontre, l’entraîneur s’est effacé, car il a su se dire qu’il ne serait pas le mieux placé pour impacter ses joueurs.
Néanmoins, plus classiquement l’entraîneur a la main sur ces séquences de groupe. C’est à lui de mettre en place la dynamique du groupe – la vie du groupe d’aucun diront- en ayant anticipé ces phases.
L’entraîneur a composé son équipe en faisant des choix. Il connaît ses joueurs et a créé avec eux un système collectif solide et sain, basé sur la sincérité, le respect et une envie inconditionnelle de gagner tous ensemble.
Les joueurs avancent, personne, pour peu qu’il respecte les règles du groupe, n’est mis sur le côté. Même si il y a des titulaires et des remplaçants, ce qui est le propre d’une équipe, le leader a été choisi collectivement, non imposé c’est ce qui fait la force de cette équipe. Sa cohérence.
C’est ainsi que l’entraîneur a fait d’un simple groupe d’individus ayant la même passion, une équipe composée de joueurs ayant la même vision.
Dans la construction de son équipe, l’entraîneur doit avoir déterminé le cadre dynamique afin que chaque joueur soit à la bonne place.
Pour aller plus loin, je pense que pour qu’une équipe, un système soit efficace, évolue en cohérence, les moments de co-construction et de remise en question, d’analyse doivent faire partie intégrante de l’entraînement.
L’entraîneur pose des problématiques, l’équipe trouve les solutions tout au long de la préparation de l’événement, le Jour J les joueurs sont normalement prêts ou alors l’entraineur a failli !
L’idée est de tirer le groupe vers le haut, de toujours être en quête d’évolution.
Pour cela aussi, un bon entraîneur se remet en question régulièrement. En progressant dans ses réflexions, il fera inévitablement avancer son équipe.
La causerie, donc, est une des résultantes de tout ce savant management. Chacun construira sa causerie comme bon lui semble avec sa propre authenticité.
Il n’y a pas de modèle à suivre, néanmoins quelques ingrédients de base semblent être le ciment d’un bon discours :
- Authenticité
- De la sincérité dans les propos et des mots choisis, pensés en amont, sans improvisation
- Rester dans la réalité. Avec des « si », on refait le monde. Des faits, juste des faits.
- De l’énergie !!! l’énergie se transmet entre humains, transmettez la-vôtre, restez positifs !
Certains entraîneurs ne sont pas à l’aise avec l’exercice, ce n’est pas gênant. Il faudra simplement être capable de déléguer justement cette tâche à quelqu’un d’autre, de plus compétent en la matière… et l’accepter ! Reconnaître, exploiter les forces des autres c’est aussi cela construire une excellente équipe.
Pour conclure, une bonne causerie se construit en lien direct avec l’équipe. Que ce soit l’entraîneur ou le leader, celui qui prend la parole doit savoir à qui il s’adresse, vraiment.
Le discours peut être préalablement construit (une causerie d’avant-match par exemple) ou alors aménagé en fonction de la rencontre.
Mieux l’on connaît ses joueurs ou ses partenaires de jeu, plus il sera facile d’être cohérent, précis pendant le discours.
Je définis « la causerie » comme un outil qui peut-être utilisé afin de recadrer, recentrer ou même motiver une équipe.
J’insiste bien sur le fait que c’est un outil que l’on n’utilise pas systématiquement, que l’on manie avec précision, car il peut aussi bien « tirer vers le haut » une équipe, que « l’emmener au fond ».
Lorsque l’on n’est pas sûr de ses mots, il vaut mieux se taire. Une causerie n’a de sens que si elle produit l’effet escompté, sinon c’est un échec qui peut amener des doutes profonds dans la tête des joueurs et des joueuses, et, devenir un boomerang qui discrédite l’entraîneur.
Pour conclure, je vous invite à prêter une oreille attentive à quelques causeries références :
Aimé Jacquet à la mi-temps de France Croatie en juillet 98 alors que les bleus sont menés pour la première fois du tournoi. Pour le franc-parler au moment d’une situation inédite.
Claude Onesta avant France Danemark en golden league en janvier 2016 : pour la dimension posée et onirique qui caractérise le travail de cet entraîneur.
Tony Parker à la mi-temps de France-Espagne lors de l’euro 2013 alors que l’équipe est menée. Pour une quasi improvisation qui vient des tripes et joue sur la corde affective.
Didier Deschamps avant le match retour Monaco Madrid en 2004 alors que l’exploit est obligatoire pour passer l’obstacle. Pour un discours de sachant qui calmement mais surement conditionne ses joueurs à l’exploit.
Celle de l’entraîneur d’Avranches avant la rencontre de coupe de France contre l’ogre PSG : pour la dimension fraternelle qui place l’événement à sa juste place.
Celle, récente de Pascal Dupraz avant Angers-Toulouse match qui peut sauver le TFC de la relégation : pour la dimension poétique et son registre sentimental que l’on n’attend pas à ce moment, ‘est un contre-pied qui va s’avérer payant.
François Bard